epuis toujours, Ignacio restait collé à moi. Parmi les dizaines de gamins qu'on était dans le centre, ses pas avaient toujours emboité les miens. Notre différence d'âge me rendait insupportable son affection, et je le fuyais de mes jambes deux fois plus longues que les siennes. Il n'était pas comme nous autres, c'était un inné, et le culte nourrissait de grandes attentes envers lui. Ils avaient été mis au fait d'un cas, en Amérique, un gamin aux cheveux blancs qui était capable d'agir dans l'Autre Lieu à sa guise. Lorsqu'ils avaient tenté de mettre la main sur le petit américain,, sa grand-mère a construit un barrage, empêchant quiconque de l'atteindre. Le culte est persuadé, encore aujourd'hui, que le secret de la vie éternelle non aliénante se trouve là-bas, et ils espèrent d'Ignacio et de ses prédispositions remarquables, la même prouesse.

Dans le dortoir où tous les enfants du coven étaient logés, il prenait le lit près du mien à chaque fois que j'en changeais, c'est-à-dire aussitôt qu'un enfant sans facultés était jeté hors du cercle privilégié pour être envoyé en périphérie, ce qui arrivait fréquemment. Et si je réussissais à mettre de la distance entre nous, il me fixait avec ses joues rondes de bambin gonflées de contrariété.

Ce n'est que des années plus tard, longtemps déjà après qu'il m'ait choisi comme assistance, qu'il m'a dévoilé de quoi il en retournait. Bien que les liens familiaux devaient rester secrets, grâce à ses aptitudes, Ignacio avait toujours su que nous étions frère et soeur et avait recherché à mes côtés du réconfort dans les abominations que le culte lui infligeait pour prétendument décupler ses facultés... nous avions pour projet de nous enfuir, mais un culte aussi grand est trop puissant pour qu'on lui échappe, et leur acharnement a fini par causer la perte d'Ignacio... mais il m'a légué une brèche, et je compte bien m'y engouffrer pour le récupérer, dans les abysses de cet Autre Lieu.  »